Ici est un couloir dans la nuit d'Essayer la vie

Les clés résistent.

Prolégomènes

On le dit souvent d'entrée, de la maison ; central, obscur, ténébreux, vitré. On l’utilise parce qu’il aboutit, débouche, dessert, mène, relie. Sa fonction est bout, détour, entrée, extrémité, fond et entre il faut passer par un dédale, ou une enfilade. Alors on écrit enfiler, traverser, suivre, déboucher, disparaître, s'enfoncer, s'engorger, errer. Synonyme une galerie. Creuser des galeries dans le sable ; souvenirs d’enfance et de solitude, de vacances à répétition, en vacance des temps de vie quotidiens et hors du sens d’une vie déjà bifurquée.

Hasard ou fatalité ou destin ou coïncidence et. Jamais elle ne sut comment ni même pourquoi la maison devenue sienne ce jour-là de cette année de sa vie — la nécessité d’une survie aurait pu en expliquer la cause nécessaire sans pour autant en être suffisante.

Les clés arrivèrent un jour de cette année de son ancienne vie dans une enveloppe timbrée anonymement et délibérément en son nom propre — ce patronyme inconséquent qu’elle n’avait jamais voulu porter de force lui apporta cette part de grâce qu’elle avait attendue toutes les années de la vie d’avant.

Le jour d’après les clés — parce qu’il y en eut plusieurs à son grand étonnement tel qu’elle ne mangea rien de la journée ni de la nuit — elle reçut une nouvelle enveloppe toujours aussi anonymement et délibérément en son propre nom tel qu’elle comprit la volonté délibérée de l’expéditeur offrant les clés annonçant un lieu qui lui était annoncé présentement.

Elle attendit le jour d’après pour s’oser à déplacer son corps dans ce lieu indiqué en lettres majuscules dans cette seconde lettre qui ne fut jamais suivie d’une troisième qu’elle attendit les années ensuite en conservant son ancienne adresse au cas où l’expéditeur — ce qui en conséquence lui entraîna pendant longtemps de fâcheux soucis administratifs du fait du double adressage de sa vie présentement nouvelle jusqu’à l’acception que définitivement l’inconnu restera à jamais l’inconnue d’une équation insolvable.

Pour choisir son choix elle décida de supprimer les virgules ainsi la disparition du symbole paralysant fit place au mouvement de la pensée errante de sa vie bifurquée. A partir de ce jour d’après les jours ne comptèrent plus pour elle qui le décida à l’instant de la vue de la grande maison qui lui parut grande au premier abord du fait de son ignorance architecturale du fait de son habitat d’hier pauvrement restreint à un appartement inscrit dans une barre d’immeuble sans qualité — l’aventure de la maison se révéla néanmoins grande.

Prolégomènes

Car sauver sa peau par les mots du cnrtl.fr. Synonyme un passage. Dérivé du radical de couler. Où cela couler ? Qui disparaît ? Se définit comme une communication entre plusieurs pièces d’un appartement, entre des appartements d’un immeuble. Entre quoi ? Entre donc ! Avance sans crainte dans qui sert aussi de dégagement. Personne ne te dira allez dehors on t’a déjà dit. Après un lent et insipide piétinement sous un long couloir sombre, qui serpentait dans le palais comme le canal intestinal du vieil édifice, il parvint auprès d'une porte basse (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 350) Synonyme un corridor. A plusieurs forment un labyrinthe. T’es où dans tout cela ? Qui nous perd ? Prend la tangente. Quelque chose comme ces endroits resserrés où l'on va toujours dans les rêves(E. et J. de Goncourt, Journal, 1863, p. 1274).

Elle dort à l’intérieur une maison de couloirs dans laquelle chaque passage mais elle a oublié son rêve de soleil.

(le soleil noir de la mélancolie)
(un ouvrage de)
(c’est à propos de psychanalyse)
(ça reviendra)

Une nuit-là elle déposa le presque rien de sa vie d’avant près du verbe pleurer de sa vie d’aujourd’hui pendant que de la main gauche caressant le bois elle redécouvrait mentalement les meubles abandonnés de l’ancienne propriétaire qui vus tous les matins précédents lui avaient semblé si quelconques.

Déjà elle marchait sans lumière.
Elle marche sans lumière.

Après cette nuit-là elle n’oublie plus les chaussons en laine de mouton — bien au contraire le noir de la nuit ne lui fait pas peur de sorte qu’elle s’empêche de diner en préparation du lever de minuit à partir duquel elle transporte son estomac jusqu’aux placards consolants de la cuisine dont le carrelage est vraiment trop froid — pour tenir un festin debout accroupie assise allongée. Ou alors allongée sur la table en formica bleu.

Elle avait déplacé sa vie bifurquée durant l’hiver et profitait des heures douces du soir — après le solstice il faudra acheter des rideaux occultant dans quelques mois d’ici là elle anticipe le plancher qui va grincer là maintenant.

Cette merveille que sont les couloirs, pour qu’elle demeure
vivante en soi, lorsqu’on est chez soi, sans doute a-t-il fallu
l’éprouver d’abord ailleurs que chez soi, lorsqu’on ne pouvait
se former aucune idée claire des espaces qu’ils desservaient,
lorsque ne pouvaient encore apparaître le sens de leur
fonction ou l’évidence de leur trajet et que régnait seule
l’énigme de ces portes closes auxquelles…

Jean-Paul Goux, L’embardée (Actes Sud, 1995)

Toute petite elle traversait la nuit d’autres grandes maisons avec escaliers et de couloirs plus ou moins conséquents suivant la taille respective de la bâtisse — une pensée comme une autre n’a pas à se soucier de l’âge des déambulations nocturnes comme des souvenirs qu’au bout elle déposera près du verbe. Ce plaisir non interdit et innommable se répétait dans l’inconscience de la jeunesse qui récidive qui bras d’honneur au danger qui n’a pas encore vécu les errances de l’existence forcément chiffonnée — et les possibles bifurcations qu’il nous faut savoir prendre sous peine d’une vie sous cloche. L’obscurité faisant disparaître les parois invisibles bien tangibles c’est dans le noir de la nuit de la grande maison qu’elle discerna la possibilité des horizons.

Toute petite elle connut la sécurité de la nuit. Elle entrevit la possibilité des horizons à ressentir l’obscur presque comme sa vie embouteillée par l’opacité des mots. L’aventure ne fut pas dans le trajet de chaque nuit sans repères car oui l’aventure était dans la clarté quotidienne éblouissante des discriminations — comme l’aventure n’était pas dans les livres car oui le réel était sa fiction et la fiction n’a jamais atteint la réalité de son corps en péril. Dans le brouillard de sa vie d’avant. Les horizons n’existaient pas.

Prolégomènes

Synonyme coursive. Il avait trop vécu dans l'ombre, dans un couloir étroit, dans le corridor prolongé de sa doctrine, où il n'y avait lumière qu'à l'extrémité. Il n'a pas le bon sens élevé, l'étendue d'horizon, la stabilité de… (Sainte-Beuve, Port-Royal, t.5, 1859, p. 412). La faute à qui si le rêve individuel est étouffé par un cauchemar collectif ? Parfois en association avec un espace abstrait. Ils nous bouchent l’horizon de nos vies. Très concrètement. Les rues deviennent des couloirs de transition dans nos moments de la journée. L’espace public se ressert autour de nos corps pour enrayer la flânerie et les échanges inopinés. Fortuitement nous avançons dans les chemins vaseux qu’ils nous délimitent sous prétexte d’autoroutes de l’emploi et du vivre ensemble.

Le corps louvoie alors qu’il déplace la femme qui marche et que les doigts crayonnent une ligne imaginaire tantôt rectiligne tantôt curviligne. Elle explore les passages du rez-de-chaussée et des étages même si la marche de l’escalier lui réserve encore les surprises de la latte qui se disjoint provisoirement sous son pied nu.

Elle avait découvert le charme de la nuit par suite de pérégrinations du fait de nécessités physiologiques — la production rénale n’admettant aucune pause tant vint que la vessie fut remplie.

La dynamique des corps suit des nécessités biologiques qu’il convient parfois de déplacer dans une forme sensée malgré l’invisibilité du noir qui absorbe toutes les longueurs d’onde pendant que la pensée résiste toujours.

Prolégomènes

Aussi en association avec le temps : et lui se faufilait dans l'étroit couloir des minutes (Morand, Champions du monde, 1930, p. 199) ; en association avec une sensation : engagée dans un couloir de douleurs (Chardonne, L'Épithal.,1921, p. 382). Au pluriel, en voisinage de la salle officielle où circulent les bruits officieux. Intrigues des intrigants aux bénéfices de leurs vies rien qu’à eux. Pragmatique dans les moyens de transport : un passage permettant la circulation des voyageurs qui se déplacent tout en déplaçant d’un point A à un point B jamais W. La psychanalyse c’est bon pour les autres.

Vivre l’absurdité de sa vie bifurquée dans une absence de dessous dessus alors rien n’est caché dans les ténèbres. D’abord elle avait décidé ensuite de ne pas habiter la grande maison car la nuit tous les chats sont gris or elle déteste les félins. D’abord ce qui est idiot parce qu’elle a des yeux de chat et ensuite il faut regarder avec ce qui va en-dessous. Elle avait emménagé tout d’abord pour quitter son propre habitat pauvrement restreint à un appartement inscrit dans une barre d’immeuble sans qualité puis elle aurait aimé ne pas habiter la grande maison ne pas divaguer dans les allées d’une ivresse sans porte ni issue. Dans la nuit les explications ne comptent pas. Quand les explications n’existent plus.

Et tout est mélangé dans le n’importe quoi.

(extraits) 2017