Perspectives friche |
On avait envie de le traverser juste pour voir de plus près les jardins des voisins pas si loin. Que de l’herbe. On n’a jamais essayé de faufiler le corps à travers la haie pourtant on apercevait les clôtures des autres maisons toutes proches. Couvert de longues tiges jamais tondues. Peut-être un chat caché à la chasse à la souris ? On n’aurait pas pu le voir. On n’aurait pas aimé voir le chat manger la souris. L’été on lorgnait derrière la haie à travers les feuilles des arbustes. On s’imaginait des choses. On se créait des énigmes. On s’inventait des mondes. Jamais un terrain de jeu. Interdit. Premières expériences du rien, l’œil à travers la haie de la cour. Pratique pour l’herbe des lapins et la mâche du midi. On y accédait par la route Nationale. Avec la faucille et le couteau parfois aussi avec la grande faux. Un terrain alimentaire en quelque sorte.
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On passe devant chaque année juste avant d’arriver au salon à la sortie du métro. Le corps vite vite devant l’enceinte. On passe à beaucoup chaque automne, avec peut-être la curiosité de découvrir les amoncellements de l’année. Tous, pressés bousculés, qui vérifie que le hangar a encore sa toiture en ferraille ? Pressés, qui constate qu’il n’a plus aucun mur ? Bousculés, la dernière fois aperçue une table à repasser. Dépliée au milieu du terrain pas vraiment envahi de mauvaises herbes, il faut dire que c'était l'automne. On a même fait une photographie, et pourtant le flot des adultes et des enfants, qu’on a retrouvé oubliée dans la mémoire du téléphone portable. Trou d’espace au milieu de la ville. Année après année toujours pas de construction. Enorme. Une respiration. Plus communément dans les villages. Espace inutile entouré d’un grillage à larges mailles. Inaccessible comme un désir. Grillage comme aller comprendre comment ont pu entrer ceux qui ont abandonné la table à repasser dépliée. On l'aime notre terrain vague de la littérature.
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Les fesses sur le banc du jardin, anciennement aire d’accueil d’un petit cirque, on se remémore le dromadaire qui broutait les rares herbes — à cause de l’hiver rude, on se souvient bien que cette année-là il a beaucoup neigé ; pauvre bête. On a eu très peur des promoteurs. Maintenant on y va pour regarder courir les enfants et participer au pique-nique annuel d’avant les vacances. Faut faire corps urbains pour défendre nos terrains partagés.
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Terrain de l’impossible là-bas. Forcément il nous narguait depuis nos fenêtres. Le regard par dessus les toits on le contemplait chaque jour avant de sortir comme si on se doutait déjà. Le regard par dessus la rangée de toits. Vague, une seule maison : grande bâtisse bourgeoise avec deux balcons en béton gris imitation bois noué et quelques vitres brisées aussi. On se disait qu’on y habiterait. Qu’on irait prendre le soleil dehors dans le jardin sur une chaise longue avec un livre et une cigarette. Parfois quelques individus malgré l’accès difficile pour cause des barricades de l’impasse. On les observait explorer depuis nos fenêtres. Jolis les tags. Un jour on s’est osé à s’aventurer dans l’impasse jeter l’œil à travers un trou de la clôture. Elle a brûlé. Tendre la main et puis, et puis non ce ne sera pas possible. Jamais.
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De l’autre côté du boulevard. On en aura passé des journées à attendre celui qui nous révèlerait le terrain de l’inconnu. Face à la fenêtre du salon de l’appartement. Il a peut-être disparu ce portail vert. Probablement en fer ; à l’époque pas encore l’aluminium ou le renouveau du bois. On se plaçait le torse derrière les vitres de l'unique fenêtre sur la pointe de nos petits pieds. Quoi derrière le grand portail vert ? Toujours fermé. Ce goût du mystère, on l'a conservé secrètement avec l’âge. Enfin, on ne sait plus parce que ça fait trop longtemps maintenant. Peut-être qu’un jour devant nos yeux ébahis quelqu’un l’a ouvert ce portail vert en fer. Peut-être même qu’un jour on a vu derrière le portail vert en fer de l’autre côté du boulevard.
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Nos grandes jambes au milieu, il semble tout riquiqui. On y fait le tour rapidement. On y voit toutes les limites, la jeunesse pas encore. Personne ne s’en est occupé depuis de nombreuses années. Les rosiers dépérissent à l’ombre des grandes branches d’un arbre sans nom, un mur s’effrite à sa périphérie, le sapin frôle l’horizontalité à chaque bourrasque pendant que les volets de la vielle maison claquent. Passer du rêve à la réalité. Transition brutale. Ouvrir le portail rouillé vert. Avant il n’y avait pas et maintenant il y a. Joie d’un rêve réalisé. Et penser en retour la transition d’il y avait puis il n’y a plus. Alors on s'accroche à notre terrain d’il y aura toujours.
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Il paraît que depuis il y a des constructions. On l'avait oublié celui-là. On l'a vécu comme un terrain des non-dits dans la tête. Il paraît qu'il y a maintenant des immeubles chics avec de grands balcons exposés Sud.
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Plus tard on a appris à reconnaître les blés et les maïs, à distiguer de loin les feuilles de betteraves et de pommes de terre, et puis à suivre du regard les sinuosités de la route. De là on avait la paix. Les mollets dans le vide de l’arbre très très haut. On aurait dû avoir peur. Le grillage avait rouillé, tout le monde pouvait y entrer ; on était rarement dérangé jusqu'à l'heure du diner. On aimait disparaître dans les grandes herbes blondes de l’été avant d'accéder à l’arbre. Parce que de là-haut on dominait le monde. Un océan de champs à défaut de mer trop lointaine. Il fallait être agile pour accéder à la cime. Maintenant on ne sait pas si on parviendrait encore à y grimper dans ce vieux cerisier. Expérience de la solitude. Du plaisir de l’observation et de la pensée flottante. Il y a bien longtemps que fut notre terrain de l’insouciance.
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Notre terrain de vie ? Ni trop grand ni trop petit. A notre bonne échelle, même si on n’en sait rien du tout en réalité. On ne peut pas dire plus. C'est pas de ceux descriptibles. C'est pas de ceux non plus comme les zones non répertoriées sur les cartes. C'est de ceux qui demandent la tête ailleurs.
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