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Ecrire un mot au hasard. Ecrire une phrase au hasard. Ecrire un texte au hasard. Tout en sachant que le hasard n’existe pas. Que le hasard est un autre mot pour évacuer les pensées parasites. Que le hasard permet d’écrire quand on ne sait plus. Que le hasard est force quand les questions sans réponse. Le hasard est l’agir. Le hasard est une action délibérée et réfléchie dans la perspective de révéler la pensée volage qui se manifestera au fur et à mesure, dans le fil du texte. Ou pas.
Essayer un mot, au hasard. Essayer une phrase, au hasard. Essayer d’écrire un texte, au hasard. Essayer le risque. Ecrire avec des mots sans image une pensée sans mot. Un texte sans histoire qui ne raconte rien, ou pas grand chose, ou trop de choses. Ecrire un texte qui présente. Pas une histoire. Pas qui représente. Lâcher l’esprit, libre le cerveau en pilote automatique, sans programmation. Déprogrammer une linéarité. Le programme va se déprogrammer maintenant.
Ecrire un mot au hasard. Ecrire une phrase au hasard. Ecrire dans la répétition. Espérer que la répétition fasse émerger le texte. La répétition qui deviendrait signifiante de part ses variations. Variations infinitésimales. Contrôler dans l’absence de contrôle la progression du texte à venir qui vient sans préoccupation. Ecrire sans penser aux cadavres, exquis et tous les autres. Ecrire dans le présent en oubliant le passé sans anticiper le futur.
Ecrire un mot au hasard. Ecrire des mots au hasard. Ecrire sans penser au lecteur. Ecrire justement. Ecrire en aveugle. Ecran noir et doigts sur le clavier. Ecrire sans relire. Ou relire ensuite bien plus tard. Ecrire pour oublier ceux qui pensent que. Ecrire dans le noir pour oublier ceux qui pensent bien que. Oublier les que. Oublier les questions. Ne pas oublier les questions. Laisser les questions voler au gré de la pensée. Ne pas attendre les réponses. Laisser les réponses apparaître au gré de la pensée. Le programme se déprogramme.
Ecrire un mot au hasard. Ecrire un texte au hasard. Faire disparaître les projets. Plus de projets d’écriture envahissants. Ecrire pour ne pas être envahie (apparition inattendue du féminin dans l’écriture ; assumer le je de l’écriture). Ecrire au hasard dans l’expression d’une identité qui écrit des mots au hasard de l’écriture. Ou bien ne plus écrire au hasard. Construire dans le hasard de l’écriture.
Ecrire un mot au hasard.
Ecrire au hasard.
Ecrire hasard.
Hasard
Concentration minimale pour méditation maximale. Plaisir d’écrire sans image. Plaisir d’écrire des mots qui viennent au hasard. Plaisir d’écrire grâce aux doigts agiles qui se déplacent le long du clavier blanc. Plaisir d’écrire avec un cerveau qui pense et qui dirige les doigts agiles qui se déplacent sur le clavier blanc. Plaisir des deux activités menées de front dans l’aboutissement d’un texte écrit au hasard. Plaisir de ne pas anticiper la fin. Désir de ne rien dire. Envie de suivre le fil sans devancer la chute. Et pourtant il y aura : elle arrive, la chute. Supprimer l’aboutissement programmé. Détruire le futur du texte écrit au hasard d’une après-midi de printemps.
Ecrire un mot au hasard. Ecrire une phrase au hasard. Ecrire un texte au hasard. Jusqu’à l’indigestion. N’en plus pouvoir de ces mots qui sortent. Expulser les mots de la boite, la crânienne et toutes les autres. Se libérer des mots.
Ecrire un mot au hasard. Ecrire une phrase au hasard. Se débarrasser du temps qui passe. Ecrire dans le temps qui passe en l’oubliant. Oublier l’autour. Juste le dedans dehors.Juste le dehors dedans de la pensée flottante. Encore.
Encore un mot au hasard. Encore une phrase au hasard. Jusqu’à l’excès. Le corps qui n’en peut plus de ses doigts agiles qui pianotent sur le clavier blanc. Quelques fautes de frappe. Pas grande chose. Pas suffisamment pour ralentir la pensée à l’œuvre. Le corps qui n’en peut plus d’être assis sur ce canapé. Le corps qui surchauffe sous cette couverture. Le corps qui transpire sous la veste polaire. Le corps qui étouffe sous les deux écharpes en laine. Transpirer comme écrire un mot au hasard. Etouffer pour détouffer. Choisir le moins pour obtenir le plus. Accepter les paradoxes.
Ecrire pour digérer. Ecrire au hasard pour digérer les injustices du hasard. Digérer les vérités. Digérer les faits sans objection. Pas d’objection. Parce que des vérités brutes. Digérer les vérités brutes. Etouffer pour détouffer les vérités brutes du hasard. Digérer dans les mots écrits sur un canapé au hasard d’une après-midi de printemps sous une couverture enveloppée d’une veste polaire et de deux châles en laine. Parce que des vérités sans contre-vérité ça existe.
Ecrire et digérer. Ecrire quand la digestion est impossible. Alors écrire au hasard des mots et des phrases. Ecrire un texte au hasard. Oublier que ce texte aura une fin. Oublier encore. Oublier de ne pas oublier. Ne pas oublier d’oublier. Accepter les contradictions. Accepter les vérités brutes. Accepter et après.
Ecrire un texte au hasard sans après. Supprimer les après. Juste le temps du texte. Mettre de côté les après. Aussi les avants. Même si, avant le texte il y a eu. Même si, après le texte il y aura. Ecrire au hasard des vérités brutes sans contre-vérités. Laisser aller. Laisser aller le texte. Laisser aller le texte. Laisser aller le texte malgré les blocages. Laisser aller. Laisser aller vers. Apprécier le vers qui vient et va vers un autre vers ou bien encore celui-ci ou encore cet autre là-bas. Laisser aller vers.
Ecrire un texte au hasard et penser à ceux qui et penser ceux qui ne pas et penser au texte qui s’écrit au hasard. Il fait chaud sous la couverture grise. Il fait doux sous les deux châles rouge et bleu. Il fait bon sous la veste polaire. Penser à ceux qui invitent à. Penser à ceux qui comprennent. Tenter de comprendre malgré tout ceux qui ne comprennent pas. Continuer ce texte hasardeux.
Ecrire encore et l’écrire. Ecrire l’action en cours devant une fenêtre au soleil de l’après-midi. Action en cours dans l’immobilité du corps allongé. Corps allongé qui vit les doigts agiles en mouvement sur le clavier blanc. Corps vibrant au rythme des mots écrits au hasard de la tête qui. Ecrire.
L’écrire ce texte, malgré l’envie de quitter le canapé. L’écrire ce texte, malgré l’envie d’une cigarette. Supporter l’immobilité. Extraire les mots. Presser la pensée de se presser d’elle-même. Presser la pensée de vagabonder encore un peu plus toujours plus. Allez ! Allez encore pour trouver les réponses aux questions qui ne devraient pas être posées. Le je digère la découverte de l’existence de questions a-sensées. Le je digère l’impossibilité de questionnement des vérités brutes. Le je digère pendant que les doigts agiles occupent les touches du clavier blanc. Le je soupire.
Ecrireun texte au hasard pour rêver d’une vie sans « et ». Plus les liaisons. Pourtant progresser étape par étape. Favoriser le non sens. Interdiction de fabriquer du sens. Le je soupire. Presser la pensée de se presser elle-même. Encore. Le je répète qu’il est interdit de fabriquer du sens. Alors accepter l’ordre malgré le désir du désordre. Accepter car pas mieux. Là maintenant le je soupire encore alors les doigts agiles tentent une diversion du cerveau en … C’est raté, le mouvement des doigts agiles ne peut pas empêcher le cerveau de continuer sa trajectoire folle. Les petits doigts agiles s’activent sur les touches du clavier blanc mais le cerveau du contrôle sera une nouvelle fois le vainqueur de ce combat quotidien.
Trop d’attention sur l’écrire.
Trop d’attention et plus d’attention.
Trop d’attention et retour violent des autres textes lus.
Trop d’attention sur l’écrire et le doute qui revient.
Ecrire un texte au hasard pour écraser les résistances. Combat quotidien parfois gagné quand le hasard le veut bien. Aucune prédiction possible. A chaque tentative une surprise pour le je qui vient de soupirer.
(Texte initialement publié sur Sans tiroir ni rangement)